jeudi 5 avril 2012

le journal d'Enzo (4 septembre 2012)

Mots-clé : fiction ou réalité

Aujourd'hui Sainte Rosalie*. Du fond, moi Enzo, je ne vois pas bien le tableau, je suis trop loin et j'ai besoin de lunettes. Mais les lunettes ne sont plus remboursées. Il faut payer l’assurance et mes parents n’ont pas les moyens.







L’an prochain je devrai prendre le bus pour aller à l’école. Je devrai me lever plus tôt. Et rentrer plus tard. L’EPEP (établissement public d’enseignement primaire) qui gère mon école a décidé de regrouper les CE1 dans le village voisin, pour économiser un poste d’enseignant. Nous serons 48 par classe. Que des garçons. Les filles seront dans une autre école d’un autre village.

Je me demande si après le CM2 j'irai au collège, ou comme mon grand frère Théo en centre de préformation professionnelle avec le stage en alternance à la mine de gaz de schistes. Peut-être que les cours de poussage de wagonnets en atelier seront moins ennuyeux que toutes ces leçons à apprendre par cœur. Mais ma mère dit qu’il n’y a plus de travail, que ça ne sert à rien. Mon père a du aller travailler en Roumanie, son usine de voitures est partie là-bas. Il est bien payé, il gagne beaucoup de sous, 3 nouveaux euros 80 par mois, mais je ne l’ai pas vu depuis des mois. La délocalisation, ça s’appelle. A cause de la mondialisation dit la maman de Jean-Emilien qui habite au château (elle est dame qu’accompagne Monsieur le Chinois, le seigneur du château. Il est gentil il a laissé la maman de Jean-Emilien et Jean-Emilien continuer à habiter leur ancien château dans la petite maison de la grille d’entrée). Ca apporte la richesse qu’elle dit.

Il me tarde la récréation. Elles sont courtes, 6 minutes, surtout qu’il y a qu’un WC, mais j'aurai peut-être le temps de retrouver Cathy, la jeune sœur de maman. Elle fait sa troisième année de stage pour être PREPEP (professeur revalorisé d’un établissement public d’enseignement primaire), maîtresse quoi, dans l’école, dans la classe de Monsieur Luc. Monsieur Luc remplace (Bravo Monsieur le Maire) Monsieur Jacques qui a été renvoyé car il avait déclaré qu’il voulait faire grève. On dit que c’était « unsindykalist dlapiraispaisse » qui faisait de la « pédagogy ». Il y avait aussi Madame Paulette en CP ; elle apprenait à lire aux enfants avec de vrais livres ; un inspecteur venait régulièrement la gronder ; elle a fini par démissionner.
Cathy a les yeux tout noirs autour dessous : Le soir elle est serveuse dans « Bar à jus » car sa formation et ses stages sont pas payés. Elle dit : « A 31 ans et un bac +8, servir des bières sans alcool le soir et faire la classe 10 heures durant dans la journée, c’est épuisant ». surtout qu’elle dort dans le salon chez nous, elle a pas assez de sous pour louer un mobil-home ou même un container.

Après la récréation, il y a le cours de religion et de morale, avec Monsieur l’abbé Georges. Il faut lui réciter la vie de Jeanne d’Arc et tous les noms des Croisés et puis le coup des 10 commandements par cœur. C’est lui qui organise le voyage scolaire en Bayroussie à Lourdes, à Pâques (c’est une Nouvelle Région Autonome avec comme capitale Pau). Sauf pour ceux qui seront convoqués pour le soutien…


Le journal d'Enzo s'arrête là. On a découvert qu'il savait lire et lisait des livres interdits (Petit Ours brun dit non, Martine à la plage). Une enquête est ouverte pour savoir qui lui a fourni ces brûlots. Et Enzo a été envoyé en centre éducatif fermé en Guyane, à Cayenne.
Enzo se demande pourquoi il est là-bas, pourquoi Saïd a dû partir. Pourquoi Cathy et sa maman pleurent la nuit. Pourquoi les usines s’en vont en déménageant le travail dans des cartons. Pourquoi il n’a pas une maîtresse toute l’année. Pourquoi il pourra même pas prendre le bus. Pourquoi il va pas passer ses vacances à faire des stages, mais à défricher le Parc Naturel au milieu des bêtes féroces et des moustiques. Pourquoi on « le punit ». Pourquoi il n’a pas de lunettes. Pourquoi il a faim.

*Sainte Rosalie, dite aussi Sainte Olive (4 septembre 2012) fut une martyre emprisonnée et condamnée au bûcher. Les flammes ayant refusé de la brûler, il fallut la décapiter.


6 commentaires:

  1. c'est attendrissant
    bon week end de paques Marius

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  2. Bonsoir Mariuss,

    Ici, dans mon petit pays, c'est déjà un peu cela, le bus le matin qui amène les élèves dans divers villages afin de ne pas avoir trop de classes ouvertes, les lunettes ne sont pas remboursées et on paye une assurance privée, car on n'a pas de sécurité sociale.

    Pour le reste j'espère que cela n'ira pas si loin........

    Gros bisous, Helene

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    1. Hélène > Oh c'est du blog, mais ce qui m'inquiète c'est que de plus en plus ce qui pouvait apparaître comme une fiction il y a quelques années, dans plein d'aspects différents de notre société, se rapproche de plus en plus de la réalité.

      Je n'imaginais pas, nous n'imaginions pas la vie comme cela, Tine et moi. Nous étions peut-être trop naïfs et idéalistes, croyant que nous allions changer le monde. Il a changé, sans nous attendre, mais dans un sens qui nous désespère.
      Nous espérons que la génération à venir réussira mieux que la notre.

      Gros poutoux

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  3. Bonjour Mariuss ,

    Plus on avance plus on recule c'est dramatique ,je ne pense pas à moi mais plutôt aux enfants et petits-enfants .
    Toute la nouvelle génération ,ils sont déjà dans la mierde obligés de vivre chez les parents ..............pas le choix .

    Changer les humains !! pour moi c'est de l'utopie ,quelle tristesse ;-(

    Très bon week-end Mariuss peut-être à la grange !!

    baci

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    1. Marie > Bah, je fais confiance aux gens. On s'en sortira !

      Parmi les gens yen a des bien

      Ursa Major de baci

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